21 avril 2020

Les 5 pratiques managériales qui ont explosé en vol

Quand tous nos repères s’effondrent, alors qu’il est venu le temps de reconstruire l’avenir, commence un long chemin de questionnement et de doute. Au gré de nombreux échanges et des rencontres virtuelles que j’ai pu avoir avec des dirigeants et des experts dans le cadre du Covid, j’ai identifié 5 pratiques managériales qui ont littéralement explosé en vol et qui vont devoir être revisitées. Pour certaines entreprises, la lecture de cet article risque de créer de l’instabilité émotionnelle car c’est tout son cadre qui est remis en cause. Pour d’autres, cette lecture pourra être salvatrice. Elles vont pouvoir ouvrir la fenêtre et voir que les champs des possibles fleurissent. Et le 11 mai ? Concrètement on fait quoi ?

Les chiffres, les chiffres, les chiffres ? –¦ et boom –¦ zéro

  • Hier, certains de vos collaborateurs étaient rémunérés sur la base d’un salaire fixe et de primes correspondant à  l’atteinte d’objectifs quantitatifs. Comment faire le 11 mai quand ils vont revenir avec un résultat nul et des objectifs qui n’ont plus de réalité ? Comment les accompagner financièrement pour maintenir un niveau de vie correct ? Comment les remotiver à  travailler sur un terrain de jeu aux perspectives floues ?
  • Hier, vous évaluiez vos équipes et vos collaborateurs à  80% sur des données chiffrées. A voir le temps passé des managers à  produire des reporting qui aujourd’hui sont caduques. A relire les grilles de  vos EAP qui sanctionnent des niveaux à  atteindre.

Et si demain la qualité prenait le dessus ? Oui, c’est plus difficile à  mesurer, et c’est une mesure qui se joue sur le temps long. In fine, en équilibrant quantité et qualité, la valorisation du travail accompli par les collaborateurs sera bien plus riche et nourricière aussi bien pour le collaborateur lui-même que pour le manager qui pourra appréhender son rôle autrement.

Le business plan et les prévisionnels d’activité ? –¦ comme la météo, à  plus de 5 jours c’est risqué

  • Même si de nombreuses entreprises ont fait entrer agilité et adaptabilité dans leurs modes de travail, ces deux grandes dames n’ont pas totalement réussi à  faire disparaître les prévisionnels d’activité. Les business plan à  3 ans, 5 ans voire même 10 ans avaient encore leur part belle dans le pilotage des entreprises. Ce n’est pas de leur faute–¦ avis aux partenaires (financiers et autres) qui ne peuvent s’engager dans l’action sans le fameux BP–¦.

Quand les industriels détournent leur outil de travail en quelques jours pour fabriquer du gel, des masques ou des visières, quand toute une filière revisite ses processus d’approvisionnement, quand ce qui était impensable à  distance devient une expérience unique–¦. Ne faut-il pas juste se dire que l’improbable et l’imprévu peuvent aussi être deux mamelles nourricières de l’entreprise ? Et si demain l’entreprise devenait ce poisson qui suit le courant au gré des opportunités qu’il lui offre ? Ce serait là  aussi un beau terrain d’être des collaborateurs qui pourraient s’exprimer en dehors du seul cadre strict en consensuel du BP.

La montée en compétence des collaborateurs ? –¦ ils sont tous devenus autodidactes–¦

  • Le plan de carrière et son programme de développement des compétences inscrit au plan de formation, a pris du plomb dans l’aile. La plupart formations initialement prévues ont été purement et simplement annulées tandis que d’autres se sont transformées en e-learning. Mais ces dernières semaines, nous avons aussi pu observer deux phénomènes intéressants sur le champ des compétences.
    • De nombreux programmes de formation, des conférences, des webinar, etc. ont été proposés en open source, en libre accès, gratuits. Les opportunités pour se former ont été multiples et certains collaborateurs ont pu explorer des domaines jusqu’alors non autorisés par l’entreprise et son plan de formation. Ils avaient enfin le temps de se former à  autre chose.
    • En télétravail, chacun est devenu malgré lui, un autoentrepreneur. Loin de ses collègues experts en informatique, en planification, en communication, etc.  il a appris à  faire tout seul, et il a développé des compétences nouvelles.
  • Le collègue que l’on croyait réfractaire au changement a su trouver des solutions agiles à  distance, efficaces pour toute son équipe, et celui que l’on croyait leader n’a pas su adapter sa posture aux contraintes du télétravail–¦. Les compétences à  développer ne sont plus celles qu’elles étaient–¦

Bref ce que l’on prenait pour acquis dans les modèles RH a pris une toute autre réalité. A cela s’ajoute le temps qu’ont eu les collaborateurs pour réfléchir à  leur avenir professionnel dans l’entreprise, avec leur manager, leur employeur, est une invitation très forte à  dépenser du temps et de l’énergie à  reconstruire autrement ses ressources humaines.

L’organisation du travail ? Une pointeuse ? Ah bon o๠ça ?

  • C’est finalement incroyable de voir que le collaborateur qui n’a pas pointé a quand même réussi à  produire quelque chose,
  • Je ne peux pas compter sur mon collaborateur aux mêmes heures que moi car nous n’avons pas la même organisation du temps personnel, ni de concentration, ni de modes de pensée–¦
  • Quand je vois l’amplitude horaire de mes collègues, il faut que je les freine–¦ il y a quand même un cadre législatif au travail, et même s’ils le font volontairement et avec plaisir, il faut souffler un peu

Hier, il était fréquent de penser que le collaborateur, par nature, était fainéant. Aujourd’hui, force est de constater que, à  contexte différent et cadre de travail différent, le collaborateur travaille. Et si demain, l’organisation du travail était revisitée pour créer les conditions de motivation nécessaires, sur la base d’une confiance partagée, permettant d’atteindre la qualité et l’efficacité attendue de chacun ?

Ils n’avaient pas les outils et pourtant–¦. Ils l’ont fait–¦

  • Beaucoup d’entreprises n’avaient pas prévu un déploiement du télétravail grandeur nature et généralisé, les outils n’étaient pas prêts, les moyens de communication n’étaient pas opérationnels, les données de l’entreprise n’étaient pas accessibles. Et pourtant ils se sont adaptés, les uns ont travaillé sur leurs propres outils de travail (BYOD), d’autres ont accepté de communiquer via leurs numéros personnels. Des communautés de partage se sont créées en dehors du spectre réglementaire et modérateur de l’entreprise et aucun lynchage n’a eu lieu–¦

Sur fond de RGPD, j’invite les entreprises et les collaborateurs à  détendre les frontières entre les outils personnels et professionnels. Le collectif s’autorégule. Il est contre-productif de brider les  expressions des collaborateurs car de ces échanges peuvent naître les belles idées de demain. Des systèmes alternatifs de troc interne ou de location (détail dans un prochain article) peuvent néanmoins émerger entre l’entreprise et le collaborateur qui utiliserait son propre matériel–¦ Tout est à  inventer, tout est à  créer.

Les fondamentaux de la gestion d’entreprise, les critères de motivation des collaborateurs, les processus RH, les règlements intérieurs, tel que nous les pilotions avant ont littéralement explosé en vol. Même si elle n’est pas butoir, la date du 11 mai rapproche les entreprises de leur nouvelle réalité. Il va falloir reconstruire sur de nouvelles bases, avec de nouvelles règles du jeu. Le terrain va rester mouvant encore quelque temps. Alors construire sur pilotis est la stratégie que je vous propose aujourd’hui pour continuer à  s’adapter sur la durée.

Je vous en soumets 5 mais bien entendu chacun est libre de changer le pilier qui ne lui conviendrait pas, d’en rajouter d’autres pour plus de stabilité.

Laisser plus de place à  l’intuition–¦

C’est peut-être le côté féminin de l’entreprise que je vous invite à  éveiller. L’intuition, l’empathie, les émotions, tout ce qui va faire que l’entreprise prendra une direction que les tableaux de bord n’avaient pas prévu mais que vous sentirez du plus profond de vos tripes. (Le « vous » étant collectif). Il faudra écouter vos tripes et ne pas avoir peur de ce que vous entendrez car le chemin à  emprunter sera peut-être en dehors de votre zone de confort.

Accepter le lâcher prise –¦

Ce défi de plonger dans le grand bain sans bouées, c’est accepter de sortir de sa zone de confort, c’est lâcher prise. Attention toutefois à  ce qu’il y ait de l’eau dans le bain. Vous ne pourrez pas tout sécuriser, nous venons de l’expérimenter, et le risque zéro n’existe pas. Néanmoins pour votre sécurité physique, mentale et pénale et celles de vos collaborateurs, vous devez procéder aux actions prioritaires de bases pour la sécurité de tous. Une fois ces besoins primaires sécurisés, à  vous d’expérimenter ce que vous n’aviez encore jamais osé faire. Car c’est « parce qu’ils ne savaient pas que c’était impossible qu’ils l’ont fait ». Et si ça devait ne pas marcher ? Tant mieux, vous recommencerez. Vous n’avez pas appris à  marcher du premier coup–¦

Piloter dans un temps court –¦

Hier vous étiez un paquebot, chaque manœuvre était d’une complexité aux impacts de longue traine et virer de bord devait s’anticiper. Demain vous serez un voilier, avec un équipage aguerri, qui pourra virer de bord aux premiers coups de tabac, qui adaptera avec agilité et autonomie les différentes voilures, les différentes allures. Mais à  vous, dirigeant, d’agir en skipper qui voit à  l’horizon le cap à  prendre, mais qui sait adapter les différentes étapes au gré des écueils et des réussites rencontrées.

Oser la confiance–¦.

La cordée se fait confiance. Elle se soutient, elle s’entraide, elle communique. Faut-il plus de mots pour vous inviter à  remettre à  plat vos règles du jeu, votre organisation, vos modalités de travail et faire entrer plus de transparence, de parole, d’écoute, de collaboratif, d’intelligence collective, de partage–¦ Après 2 mois de confinement et de télétravail pour la plupart, le management directif ne pourra pas revenir à  son niveau d’avant, l’organisation d’une nouvelle réalité ne pourra pas s’auto proclamer. C’est ensemble que vous allez définir le nouvel ADN de votre entreprise.

Et le pilier central ; le dirigeant

Mais rien de tout cela ne peut soutenir l’édifice si au centre le dirigeant n’est pas le pilier fondateur. Etre pilier central ne veut pas être dire être isolé. En ces temps de crise, chacun a pu trouver des espaces de ressources professionnels pour faire face. Des associations, des clubs, des réseaux, des fédérations professionnelles, des institutions, des partenaires, etc. Chacun a pu expérimenter les bénéfices de l’entraide, du partage, de la bienveillance, de la solidarité, du prendre soin.

Certains dirigeants vont devoir complètement changer de lunettes. Cela ne va pas être simple considérant que les enjeux commerciaux et financiers vont pousser les anciens paradigmes aux portes de la réflexion. Je vous invite alors à  penser global et collectif. Il y a des enjeux de pérennité d’entreprise dont les collaborateurs peuvent s’emparer et pour lesquels ils peuvent contribuer à  trouver de bonnes idées. Le pilier central n’est jamais seul.

Le dirigeant a cette forme d’exemplarité qui fait qu’il prend soin des autres. Mais pour prendre soin des autres il doit d’abord prendre soin de lui–¦

Et le 11 mai, on fait quoi tout de suite à  court terme ?

Après le 11 mai, tout ne sera pas comme avant. Une forme de complexité se sera installée.

La responsabilité légale et humaine de chaque dirigeant et de chaque manager consiste à  recevoir individuellement chaque collaborateur. Légalement, après une période de longue absence, l’entreprise est tenue de recevoir le collaborateur. Profitons de cette obligation pour en faire une opportunité d’échange, pour prendre du temps pour chacun.

  • Dans quel état d’esprit (personnel, professionnel) se trouve mon collaborateur ?
  • Comment vit-il la maladie ? A-t-il été touché directement ou indirectement ? A-t-il peur ?
  • Quelles sont ses attentes vis-à -vis de l’entreprise ? De son manager ?

Rapidement, dans les jours qui suivent, je vous invite à  organiser une réunion collective construite sur les 3 axes que nous utilisons toujours en communication mais qui ici prennent plus que jamais tout leur sens :

  • D’o๠venons-nous : comment l’entreprise a vécu la crise du confinement, premiers éléments de REX ; ce qui a bien fonctionné, ce qui a moins bien fonctionné, les constats, etc.
  • O๠en sommes-nous aujourd’hui : dans quelle situation se trouve l’entreprise, économique, financière, commerciale, etc. Quelles sont les mesures prises par l’entreprise pour garantir la sécurité de chaque salarié ?  Quelles sont les autres mesures immédiates prises par l’entreprise ?
  • O๠allons-nous : comment l’entreprise se met en ordre de marche pour demain (court terme fin de l’été, rentrée de septembre, moyen terme fin 2020, long terme 2021). Partager cette vision permet à  chacun de faire le deuil qu’il a à  faire sur la situation d’avant pour mieux se projeter dans le lendemain.

A froid, chaque manager est invité à  redessiner les contours des postes, des objectifs, des rôles de chaque collaborateur, de redéfinir les enjeux de l’équipe. Chaque manager va déployer un comportement de leadership à  son maximum pour donner du sens, partager une mission commune et remotiver.

A noter que la date du 11 mai est posée ici comme la date du début du dé confinement légal, mais que chaque entreprise s’adapte par rapport à  sa réalité.

Autres articles qui pourraient vous intéresser

Un avis, une idée, une question?