29 novembre 2022

Aimer-faire ou savoir-faire  ?

Face aux difficultés de recrutement, des initiatives émergent pour questionner différemment les candidats et s’ouvrir à  d’autres critères qu’uniquement les compétences. Au risque de créer des distorsions internes entre les anciens et les nouveaux. Chez My Beautiful Value nous nous attachons aux dynamiques internes globales. Nous préférons fidéliser avant de recruter. Cet article vous propose quelques clés de lecture sur le sujet. Et nous partageons aussi quelques-unes de nos observations clients.

Quelques éléments de contexte

Dans notre culture française du travail, nous nous voyons coller une étiquette métier liée à  notre formation ou nos premières expériences. Les erreurs d’aiguillage, les reconversions, les parcours atypiques ont parfois du mal à  trouver une place légitime dans un nouveau décor professionnel. Avec mes collègues praticiens en bilans de compétences, nous voyons la rudesse des chemins que ces personnes doivent parfois emprunter.

Les process de recrutements sont relativement classiques quel que soit le secteur d’activité et le profil de candidat recherché. Là  aussi certains parcours sont ceux d’un combattant qui doit faire preuve de persévérance pour attester qu’il sait faire. Mais il est rare de s’intéresser à  ce que le candidat aime faire.

Ces derniers mois, suite notamment à  la période de grande rupture du covid, le marché de l’emploi sur notre territoire est en pleine restructuration. Les métiers en tension le sont encore davantage, les cartes de la relations employeurs/employés sont redistribuées, certains parlent même de « rapports de force » inversés. Les salariés recherchent un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Ils souhaitent plus de plaisir au travail que de contraintes. Ils veulent avoir le choix, ne plus systématiquement subir, y compris sur les décisions directement liées à  leur emploi, à  leur travail.

Depuis 2019, on peut observer quelques initiatives de recrutements différentes. Le questionnement sur base du «  aimer-faire  » plutôt que du «  savoir-faire  », le recrutement sans CV, etc. s’invitent dans les forums emploi innovants (voir les vidéos ci-dessous).

Recruter et fidéliser, quelle cohérence ?

Sans remettre en cause tout l’intérêt de ces nouveautés en termes de recrutement, je m’intéresse, en ce qui me concerne, à  la dynamique interne des entreprises d’une manière durable. Imaginez ainsi une partie des collaborateurs, les plus anciens, qui sont positionnés dans le système par leurs compétences, ce qu’ils savent faire, et une autre partie des collaborateurs, les plus récents, qui sont positionnés dans le système par leurs appétences, ce qu’ils aiment faire.

Ne verrait-on pas là  une forme de « discrimination » ?

C’est ce que j’ai pu observer chez l’un de mes clients récemment. En voulant bien faire pour pallier ses difficultés de recrutement, les nouveaux recrutés étaient « mieux traités » que les anciens salariés. La démotivation s’est alors faite ressentir auprès des plus anciens. Les plus récents ont eu du mal à  se sentir intégrés et ont fini par repartir, laissant l’entreprise en proie à  une incompréhension totale sur la marche à  suivre.

Le management par l’épanouissement professionnel pour tous

Le sujet serait alors d’organiser, de réorganiser, toute l’entreprise à  partir des mêmes critères pour tous. Si, au regard du contexte ci-dessus, le critère retenu est bien l’appétence (aimer-faire VS savoir-faire) il est utile de creuser un peu ce qui se cache derrière le « aimer-faire » dans un contexte professionnel. Qu’entend-on par épanouissement professionnel ?

Il règne une certaine confusion sur le sujet. Tout le monde n'a pas la même signification de ce mot. Certains parlent de bonheur, d'autres de bien-être, de joie, d'autres de plaisir, de passion ou encore de motivation ou encore de satisfaction.
Lorsque l'on évoque la notion d'épanouissement, qui signifie « s'ouvrir », à  l'image d'une fleur qui éclot, il est assez fréquent de faire référence à  deux principaux ressentis. Celui de « bien-être » (ou bonheur) et celui de « plaisir ». Or ces deux ressentis n'ont rien en commun et surtout ont des origines très différentes.
Pour simplifier, le bien-être (ou bonheur) est un ressenti provoqué par la sérotonine qui est une molécule qui calme et qui apaise. C'est ce que nous ressentons par exemple lorsque nous nous baladons sur une plage et assistons au coucher du soleil.
Différent, le plaisir est un ressenti qui résulte de la production de dopamine, hormone à  l'origine de l'excitation. Du XIème siècle et dérivé de « Plaire », cet état survient lorsque l'on satisfait un désir, mais aussi lorsque l'on accomplit quelque chose de gratifiant.
Cela fait plus de 10 ans que les sondages mettent en avant qu'environ 80% des salariés se disent heureux au travail, ce qui n'a rien de surprenant lorsque l'on observe toutes les actions qu'ont mises en œuvre les entreprises pour améliorer les conditions de vie au travail.
Bien que plus rares, les études sur le plaisir professionnel font ressortir que seulement 20% des actifs déclarent que leur travail leur procure du plaisir. C'est peu et c'est sans doute ce qu'attendent à  présent les salariés.
Il semble bien que la souffrance, la frustration et la privation de liberté ressenties durant cette année de confinements et de couvre-feux aient fait naitre chez de nombreuses personnes l'envie d'exercer un métier qui soit source de plaisir.
C'est pourquoi le besoin d'épanouissement exprimé par les Français durant le confinement ressemble davantage à  une quête de plaisir qu'à  une revendication de bien-être.
Francis Boyer
sources

Pour représenter la relation du plaisir au travail et de l’engagement au travail, je vous fais la proposition ci-dessous :

L’enchainement des mots clés à  lire ici serait : choix/envie/satisfaction/plaisir/action/engagement.

Mais comment faire concrètement dans des organisations complexes, matricielles, contraintes ?

Je vous propose maintenant une clé de lecture avec le modèle de Karasek utilisé dans la gestion et le traitement du stress au travail.

Les situations professionnelles qui

  • rendent les collaborateurs acteurs de leur organisation (pro/perso),
  • leur donnent la possibilité de choisir ou de décider
  • dans lesquels tous les facteurs de tensions psychologiques sont limités

offrent des situations de travail « détendues » propices au plaisir au travail et à  l’engagement.

L’expérience actuelle menée par My Beautiful Value.

Pour un autre de mes clients, je mène actuellement l’expérience de questionner tous les collaborateurs en CDI sur l’adéquation entre l’organisation de l’entreprise et leurs contraintes personnelles :

  • En quoi ils peuvent choisir une organisation qui leur convient ?
  • En quelles circonstances ils peuvent être préoccupés par une situation personnelle inconfortable ?
  • Comment l’entreprise pourrait s’organiser pour allier les exigences métier, les enjeux d’activités avec un niveau de qualité de vie au travail élevé ?

Les échanges sont remarquables.

Les salariés rencontrés ont une parfaite connaissance des exigences d’organisation liées à  l’activité de l’entreprise. Ils apportent des idées, des suggestions, des propositions intéressantes. Ces entretiens n’ouvrent pas grand la porte des revendications ou des demandes inadaptées. Les conversations sont très matures. Ils sont acteurs des éventuels changements, ils contribuent à  une meilleure organisation, ils veulent une vision globale des choses pour un traitement équitable pour chaque collaborateur, ils s’engagent pour que tous trouvent leur équilibre et prennent du plaisir à  venir travailler tous les jours dans une tranquillité d’organisation.

L’exercice est vertueux. Les solutions qui émergent sont, in fine, plus simples et réalisables que ce que nous avions préemptés au départ.

Et vous ? Seriez-vous prêts à  revoir l’organisation de votre entreprise ?

Un avis, une idée, une question?